Chemin de Croix

2001

(...) Comme le sens se permet souvent d'avoir autant d'ironie que le destin, c'est sans doute pour cette raison que Perrine Lacroix a eu l'idée lumineuse de promener son miroir convexe dans un cimetière de Sardaigne, la Sardinia indissociable du poisson le plus réfléchissant de la création. En agissant ainsi, elle pose de façon cruciale un certain nombre de questions fondamentales, en les condensant très précisément dans le point focal de son petit caméscope, qui luit d'un rouge inquiétant à la croisée centrale des diagonales de son miroir déformant.

Ce n'est pas tout ; en portant son caméscope et son miroir comme un futur crucifié porte sa croix, elle donne une version décalée de la place du mort dans l'autoportrait photographique, une version itinérante et ritualisée dans laquelle on ne sait pas exactement où se cache le regard de celui qui, larvatus prodeo, avance ainsi masqué.

(...) Le miroir, enfin, s'impose comme la version ultime d'un narcissisme avoué, parce qu'horizontal comme un plan d'eau, l'ancêtre mythique de tous les miroirs, mais également comme blasphème, parce que tendu vers le ciel. Parce que sa déformation crée l'illusion de la croisée d'une voûte, un espaced'ordinaire réservé à la représentation du regard divin et pacificateur sous forme de fresque ou d'icône, mais d'une voûte dans laquelle Dieu lui même pourrait se voir, il substitue l'artiste iconoclaste à l'Etre Suprême dans une belle figure de style.

Michel Hardy