Kontex(t)

Kunsthalle Krems, Austria |
du 25 novembre 2018 au 10 février 2019

Andreas Hoffer, Curator of Kunsthalle Krems

avec le soutien de l'Institut Français /ville de Lyon et le partenariat de la Fondation Lafayette
Durant le mois d’avril 2017 que j’ai passé à AIR – ARTIST IN RESIDENCE Niederösterreich, le quartier de Stein était en chantier : la Landesgalerie Niederösterreich en construction et la Kunsthalle Krems en restauration. Seule l’imposante prison, Justizanstalt Stein, semblait immuable.

En novembre 2018, pour l’exposition à la Kunsthalle Krems, j’ai voulu réinvestir ses espaces à travers le souvenir de cet entre-deux traversé un an plus tôt, les montrer dans une autre temporalité, prologue d’un espace en devenir, témoin du processus… in situ et tempore.

Kontext(e) est un projet d’exposition sur l’exposition, son statut, son histoire, ses vides, pleins, rumeurs et silences. L’espace en chantier est une œuvre en soi, les murs fraîchement enduits semblent des peintures murales, les escabeaux des sculptures, la poussière de plâtre simule un effet de brume, l’échafaudage une installation.
Leur simple présence dans un espace muséal leur donne un statut d’œuvre. Malgré l’absence d’œuvre, l’ensemble fait œuvre et donne à penser sur l’influence de l’espace et de la mise en œuvre de l’œuvre qui réagit au contexte qu’elle habite, qui l’habite.

Au commencement, est présentée la Vénus de Galgenberg. Cette petite figurine datée de plus de 30 000 ans BP, est une des prémices de la sculpture. Trouvée non loin d’ici, sa posture rappelle celle d'une danseuse. C'est pour ça qu’on l’appelle Fanny, en référence à Fanny Elßler, une danseuse autrichienne du 19ème siècle.
Ici trois copies en 3D de différentes teintes tournent en ritournelle, dansent.

Dans la première salle, l’installation in progress est un saisissement de l’espace en transformation, un arrêt sur image entre deux temporalités, un face à face entre l’image et son lieu de naissance, telle une carte postale vendue à la boutique du musée où aurait été prise l’image, un miroir à contre temps.
Des photographies de l’espace en chantier sont imprimées sur des panneaux de Placoplatre et posées sur des chariots ad hoc, supports et véhicules. Cette mise en espace, mise en abîme, offre un retour visuel de l’espace en devenir. Elle évoque la mobilité des cloisons d’exposition et nous incite mentalement à faire bouger les murs, à ne pas fixer l’histoire. Présentées à l’endroit même où elles ont été prises, les images sont restituées à leur espace d’origine, archives d’elles même.

La deuxième installation Lina est un hommage au modèle d’exposition conçu il y a tout juste 50 ans, en 1968, par Lina Bo Bardi pour le MASP, le Museu de Arte de São Paulo. L’architecte italienne libère les œuvres des murs. Les œuvres de la collection ne sont plus clouées aux cimaises d’une succession de salles, mais présentées sur des plaques de verre réparties dans une même et vaste galerie vitrée. Cette scénographie fait image et espace, elle invite à la déambulation, à une relation plus étroite aux œuvres qui dialoguent alors entre elles dans une vision d’ensemble.
Ici, à la Kunsthalle Krems, des panneaux de verre en attente d’oeuvres sont maintenues dans une carrière de granite, matière en devenir, prête à être sculptée.
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Tout ramène à ce qui précède, à la page blanche, aux balbutiements. Les murs de Placoplatre prêts à être peints, le granite entreposé prêt à être sculpté, les plaques de verre en attente d’images.

Leopold est une troisième installation, un cabinet de curiosités composé d’un ensemble de monochromes répartis dans l’espace. Au Kunsthistorisches Museum à Vienne, la peinture de David Teniers Le Jeune montre La galerie de l’archiduc Léopold-Guillaume à Bruxelles. Elle représente un cabinet de curiosités, tel que l’affectionnaient les collectionneurs du XVIIème siècle afin d’afficher leur richesse, leur bon goût, l’étendue de leur savoir et de leur autorité.
Ici, sur les murs, subsistent les éclairages de la dernière exposition. Cette présence fantomatique des oeuvres montrées précédemment, en crée de nouvelles tout en annonçant les prochaines. Ainsi la trace lumineuse des œuvres imprègne-t-elle la mémoire.

Cette accumulation d’images, toutes rassemblées sur un même plan, me renvoie aux damiers d’images que l’on trouve aujourd’hui sur Google quand on fait une recherche par image. Il suffit d’entrer un mot et le moteur de recherche nous propose spontanément un damier d’images qui correspond – selon lui – à ce mot. Juste avant apparait de façon subliminale – plus ou moins rapide en fonction du réseau – un damier de couleurs.
C’est ce que j’ai fait en apprenant les événements d’Avril 1945 à Krems.
À peine ai-je inscrit cette date et ce lieu que m’est apparu un damier de couleurs, comme une représentation abstraite de ces événements, un étendard. Puis dans un deuxième temps sont apparues les images, toutes ramenées à un même plan, sans hiérarchie aucune, « choisies » en fonction de leur taux de visibilité et en fonction d’algorithmes que l’on ne maîtrise pas.
Ce damier chromatique, capture d’écran Google search : Avril 45 Krems, résonne sur un mur du Stadtpark, au coeur de la ville de Krems, dans l’esprit de ses façades peintes depuis le moyen âge. Cette peinture abstraite et colorée est une évocation picturale en hommage aux disparus.

Le film Exit montre la sortie des peintres de la Kunsthalle Krems en travaux. Pour le premier film de l’histoire du cinéma, La sortie de l’usine Lumière à Lyon (1895), les Frères Lumière ont utilisé pour décor leur propre usine de production de plaques photographiques. Comme s’ils voulaient activer l’image saisie dans la plaque. Ce sont les ouvriers, les petites mains de l’image qui deviennent le sujet principal de celle-ci, celui du devenir image, du devenir de l’image. Le message est symboliquement fort.
Exit fait aussi référence au premier effet du cinéma, où lors d’une projection Louis découvre la marche arrière en rembobinant le film sans éteindre la lanterne, Démolition d’un mur (1896).
Ici, à la Kunsthalle Krems, ce sont les peintres en bâtiment, les ouvriers du musée en chantier qui deviennent le sujet. Ils interprètent leur propre rôle et malgré eux, dans ce contexte, dans cette salle blanche attenante à la prison, ils évoquent une autre situation et deviennent acteurs. Comme aspirés par l’histoire, ils figurent ces prisonniers politiques tout juste libérés, injustement assassinés.

Sur les étagères sont présentés des livres composés uniquement de pages blanches, en attente de Préfaces. « The world of today: Thoughts of Europeans » (Le monde d’aujourd’hui : Pensées d’européens) est un détournement de l’oeuvre autobiographique de Stefan Zweig « The world of yesterday : Memories of an European » (Le monde d’hier : Souvenirs d’un européen). Penseur humaniste, pacifiste, européen, Stefan Zweig décrit la Vienne et l’Europe du début du XXème siècle, une Europe insouciante, traditionnelle, artistique, à l’apogée de sa richesse, jusqu’à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale.
Un siècle plus tard, quelle est notre pensée européenne, artistique et humaniste ?
Le lecteur est invité à écrire en préface sa vision du monde d’aujourd’hui. Ainsi cet ouvrage réunit-il une suite de préfaces qui, conjuguées ensemble, peuvent être lues comme les impulsions d’un présent en devenir.

Words of today (Les mots d’aujourd’hui) est aussi une histoire collective réalisée lors d’un workshop avec des habitants de Krems. Les mots pensés ensemble puis peints sur des pancartes, ont été portés par les participants le soir du vernissage dans les salles de la Kunsthalle Krems. 
Kontext(e) confronte le statut de l’exposition. Quelles résonances poétiques et politiques l’art a-t-il aujourd’hui dans l’espace muséal ?


(Août 2018)